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M2MOIRE

Culture de l’oubli et citation

Les danses d’après, II

Isabelle Launay

 

J’ai choisi de travailler sur ce livre car, tout d’abord, j’ai eu l’occasion, en décembre lors du grand8 à Nantes, d’assister à une courte conférence d’Isabelle Launay sur son premier ouvrage Poétiques et politiques des répertoires, Les danses d’après I, qui m’a déjà beaucoup intéressé sur les questions d’une transmission de la danse Elle y parlait alors de danses assez spécifiques qui sont celles de Dominique Bagouet, de l’Opéra de Paris et de Merce Cunningham. Celles-ci qui se veulent durer au delà de leur temps, de manière presque infini. Dans cet ouvrage le sujet est un peu différent car, à l’inverse, la question du temps est posée à des œuvres qui n’ont justement pas eu de volontaire transmission, allant presque jusqu’à l’oubli ou le déni de celles-ci. Ainsi on se pose la question de la mémoire dans la danse, la valeur de son histoire. Comment faire vivre une danse passée, comment la justifier, se rendre juste dans son interprétation? Ainsi citer, oublier, rencontrer, retrouver, imaginer les danses dans une discontinuité qui semble presque essentielle à la justesse et au sens d’une danse au présent. Ce thème ainsi abordé semble être au cœur de la formation que je vie en ce moment au CNDC, aillant eu l’occasion de traverser bon nombre d’œuvres dites de patrimoine, et d’y voir différents modes de transmissions comme la notation Laban, la vidéo ou encore l’expérience de danseurs. Dans cet environnement où comme il a été dit dans le reportage Nous la Danse, 2019, de Julie Charrier et Yvan Schreck : « tout le répertoire de Merce Cunningham est disponible gratuitement ». Comment imaginer un répertoire et un patrimoine vivant, penser son utilisation, comment le rendre utile ?

Cet ouvrage s’introduit par l’idée d’une danse questionnant une histoire politique du corps. Celle du Portugal et de la disparition de tout un patrimoine de danses et de chants, qui, quarante ans après, sont repris par la chorégraphe Vera Mantero avec la pièce Les Serrenhos du Caldeirào, exercices en anthropologie fictionnelle (2012). Une danse alors légitime, collective, intime qui à une portée multiple, autant politique que sensible et esthétique. Ainsi les recherches d’isabelle Launay s’articulent par la suite en deux grandes parties, la première les danses de l’instant qui ont été celles des années 20, avec pour grands noms : Mary Wigman, Valeska Gert, Josephine Baker et Rudolf Laban en faisant un petit détour par l’Après midi d’un faune, et une deuxième partie qui relie ces artistes à leurs citants du XXIè siècle.

On y comprend alors que déjà, au début du XXème siècle, le temps avait été pensé. Mais non comme certains l’ont imaginé durer autant que l’on pourra les transmettre, les artistes dont nous parlons ont choisi de porter des danses de l’ordre d’un instant, d’une extase, Ir reproductibles, influenceuses évidement, mais sans que nul autre que leur interprète de départ ne soit vraiment susceptible de les (re)danser. Ainsi Mary Wigman, entre hypnose, extase et chamanisme, ne jure que par l’instant présent, bien qu’elle choisi d’ouvrir une école ce qui entraine forcement une continuité dans la pensée de cette danse. C’est pour cela le sujet de Valeska Gert qui semble encore pour moi le plus intéressant. Car celle-ci devenue icône, pendant un temps oubliée, est aujourd’hui multiplement citée, répondant parfaitement aux questionnements esthétiques et idéologiques du moment. Valeska qui performe seule en scène les vices et les inadaptés de la société, en utilisant autant de grimaces, de gestes transgressifs et de voix que l’air du temps actuel peut rêver. Cette figure aujourd’hui presque idolâtrée se retrouve sur toutes les lèvres, entre Mathilde Monnier (La mort de Valeska Gert, scène du geste, 2015), Mark Tompskins (Icons, Hommage à Valeska Gert, 2018), Volmir Cordeiro et Marcela Santander (Epoque, 2015), cette année encore sur la scène berlinoise avec Jule Flierl (Störlaud, 2018) et Eszter Salamon (Monument 0.5: The Valeska Gert Monument, 2019). Etonnant de voir à quel point le travail d’une danseuse du début du XXème réagit si bien avec l’air du temps actuel. J’ai eu l’occasion de voir la performance de Jule Flierl au festival Grand 8 à Nantes en décembre (ce festival était je pense tout à fait en lien avec les questionnement portés par ce livre), et c’est avec grande justesse que nous avons pu assister, non pas à une reproduction classique des formes emblématiques de la danse de Gert, mais au contraire, à une interprétation de ce travail tout à fait en lien avec nos regards actuel. J’ai imaginé alors pouvoir ressentir ce que les spectateurs à l’époque de Gert avaient eux-mêmes pu ressentir, en regard des images et du rapport au corps de l’époque. Il fallait  ainsi placer le curseur à quelques différents endroits pour pouvoir véritablement nous faire vivre une expérience semblable à ce qu’ils avaient pu vivre, une expérience particulièrement intense alors, entre chaire et extase spirituelle.

C’est intéressant également de voir comment la danse allemande peut aujourd’hui influencer et être une aussi grande source de citations, lorsqu’elle a si bien été effacée du paysage de la danse française d’après guerre et surtout lors de la fastueuse période de la nouvelle danse française des années 80. Epoque également questionnante lorsqu’on y regarde son rapport à l’histoire de la danse et à ses influences. La nouvelle danse Française se place alors comme un ilot, sans appartenance à aucun courant esthétique. Cependant les danseurs ne s’étaient pas formés seuls dans leur salle de bain, mais avaient voyagé, en particulier aux Etats Unis où la post moderne danse battait son plein ou encore dans des pays comme le japon ou l’Afrique, se formant aux danses traditionnelles ou au bûto. Multiples influences et pourtant omises par la plupart des artistes.

Mais certaines danses ne renient pas leurs influences multiples, c’est le cas du Lore à la Joséphine Baker, qui n’hésite pas à mélanger les contraires. Entre rythme jazz, contorsion africaine, élégance ballet et coups de pieds charleston, sa danse presque indéfinissable, floute ses origines sans pour autant les renier. Elle se place comme un ovni de la danse et influence ainsi, en rupture, nombres de chorégraphes d’aujourd’hui. Comme par exemple Latifa Laabissi dans Adieu et Merci, 2013. Mais Latifa est une grande habituée des citations, on connait bien sa reprise de la sorcière de Wigman, que j’ai également eu l’occasion de voir au CND il y a quelques années, et c’est il me semble toujours avec grande intensité qu’elle réussi à se réapproprier la forme patrimoniale, il serait intéressant de comprendre quels sont  ses méthodes de travail pour se réapproprier ces danses, les rendre actuelles, leur redonner sens dans un autre contexte.

Car on connait bien ici une forme de retransmission de la danse, qui a justement fait l’objet de la danse de la sorcière de Wigman, mais qui semble peut-être être assez différente dans le rendu final. Car nous travaillons dans notre cursus au CNDC à partir de la notation Laban, avec laquelle nous est transmis des solos dits patrimoniaux. Et c’est avec questionnement que l’on se demande comment, avec quelques traits sur un papier, l’on peut nous transmettre une danse, un solo qui plus est le plus personnel et intime, difficilement transmissible ? Et c’est naturellement que l’ont se rend compte de la passion qu’il faut pour pouvoir véritablement comprendre une œuvre et la transmettre avec un semblant de légitimité. S’il est pour autant très intéressant pour un élève de traverser une corporéité différente de celle de son temps, l’exercice semble pouvoir basculer rapidement dans une exécution académique plutôt que dans une interprétation sensible. Dépourvu de l’essence de ces danses, un travail de rencontre avec l’œuvre est à imaginer et à développer d’un point de vue sensible de l’artiste transmetteur.

Parfois l’imaginaire commun des danseurs suffit à réinventer sans cesse une danse, comme par exemple celle de L’après midi d’un Faune, 1912, œuvre encore une fois un peu à la marge en son temps et qui ne cesse de trouver de nouvelles reconnaissances, continue à faire sens comme mémoire et comme archétype.

Le média internet permet également de diffuser l’imaginaire commun, et cela peut permettre à chacun de s’approprier un certain patrimoine. En effet la vidéo est un vecteur très efficace de la danse, et en quelques clics on peut facilement accéder à un grand nombre d’œuvres chorégraphiques disponibles par exemple sur Youtube. Cela agrandi considérablement les possibilités de citations et de reprises. De façon plus ou moins légal, chaque internaute accède ainsi à une expérience sensible et personnelle de l’œuvre. Certes celles-ci sont différentes d’un live mais sont pour autant beaucoup plus intimes. C’est d’ailleurs ce que questionnait une autre pièce programmée au Grand 8, Youtubbing, 2019, de Florence Casanave. Celle-ci y raconter sa relation particulière avec Water Motor, 1978, de Trisha Brown qu’elle a pu visionner et apprendre de façon autodidacte via Youtube.

Ainsi je me questionne sur la façon dont on peut réellement montrer une danse du « patrimoine », il me semble indispensable de recréer un contexte dans laquelle elle puisse se développer. Car sans cela il me semble étrange de montrer une pièce du passé comme si elle était actuelle. Car la danse semble être l’art le plus ancré dans l’instant présent, l’expérience du danseur et du spectateur sont peut être les clés d’une véritable reconstitution. Faire revivre les mémoire, comme par exemple dans la pièce d’Olga De Soto où l’on revit avec les témoins originelles de l’œuvre, l’expérience du spectacle « le Jeune homme et la mort » de Roland Petit.

Alors l’on voit les danses s’oublier et se réinventer et nombreuses sont les façons de les penser et repenser aujourd’hui. Lorsque certains copient la forme, d’autres cherchent à retrouver l’état physique et psychique d’un instant de danse, surement nul ne peut réellement les comprendre. Il est cependant indispensable de penser un ‘’comment’’ pour le patrimoine de la danse.

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